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Parfois, je consulte mon compte bancaire en ligne et je me demande où est passé tout mon argent. Je peux en suivre la trace, mais il finit par disparaître plus vite que prévu. Je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi je ne suis pas née avec une cuillère d’argent dans la bouche. Vous savez, là où l’opulence et le luxe sont débordants; là où l’argent est la dernière chose à laquelle on pense; là où l’on se pavane dans la rue avec des manteaux de vison, des diamants au volant de Mercedes.
Où étais-je lorsque Dieu a distribué la manne? Je crois que je le sais : j’étais probablement dans le placard en train d’essayer d’organiser les bagages et d’empaqueter les boîtes des passagers qui feraient partie du voyage pour aller en profiter. Lorsque mon bateau est arrivé, j’étais probablement déjà sur le lac en train de ramer dans un canot qui prenait l’eau. Peu importe à quel moment la richesse a été distribuée, j’étais absente. Moi, c’est plutôt avec une cuillère en plastique dans la bouche que je suis née!
En fait, on pourrait dire que je suis née aux abords du seuil de la pauvreté. À proprement parler, nous n’étions pas vraiment pauvres. Peut-être qu’au fond nous l’étions, mais nous ne le savions pas.
Nous avions de la nourriture sur la table et un endroit chaud pour dormir. De vieux vêtements raccommodés étaient toujours disponibles. Je ne me souviens pas d’être allée à l’école affamée ou à moitié nue, ni qu’on se soit moqué de moi parce que je n’étais pas habillée à la dernière mode. Nous ne connaissions rien à la mode. Tout le monde était dans le même bateau. Ayant grandi dans une petite ville rurale de l’Arizona, sans télévision, personne ne savait comment vivaient les gens de l’autre côté de la voie ferrée! Nous vivions simplement et apprenions les leçons que la vie avait à nous enseigner.
Au seuil de la pauvreté, où la misère ne rôde jamais bien loin, j’ai appris de précieuses leçons que l’argent ne peut acheter. J’ai reçu une éducation fondée sur de bonnes valeurs.
J’ai acquis un grand respect pour la broche à foin et le ruban adhésif. Quand une machine tombait en panne, ce n’était pas une visite chez le concessionnaire qui s’imposait, mais plutôt une visite à la grange pour y trouver ce qui pourrait vous servir pour résoudre le problème. De nombreuses solutions créatives ont vu le jour dans le contexte où le portefeuille était vide et que le magasin était à des kilomètres.
La voiture que j’ai conduite pour passer mon permis de conduire était notre vieille familiale. Papa avait rabouté deux fils pour remplacer le démarreur qui était tombé en panne quelques semaines auparavant et le levier de vitesse était coincé dans le plancher. Si vous le souleviez trop, il vous restait dans la main. L’homme qui s’est assis sur le siège passager pour mon examen de conduite a regardé les fils en levant les sourcils, mais lorsque j’ai accidentellement arraché du plancher le levier de vitesse, j’ai vu la panique dans son visage! J’ai souri en replaçant le levier de vitesse dans le plancher, avant de dire le plus calmement du monde : « Oh, ne vous inquiétez pas. C’est toujours comme ça. » Je ne pense pas avoir réussi à le rassurer. J’ai au contraire l’impression que le trajet l’a fait remettre en question son travail et sa sécurité, mais nous en sommes sortis indemnes et j’ai obtenu mon permis. À l’époque, le gouvernement n’avait pas commencé à se mêler des enjeux de sécurité des automobiles.
Lorsque je me suis mariée, j’ai trouvé un homme comme mon père. Il pouvait réparer ou construire n’importe quoi. Mon mari a construit trois maisons. La première était une maison à rénover qui appartenait à son arrière-grand-mère. Il a démoli un mur et aménagé une pièce mansardée. Il y a posé de la moquette et effectué les travaux de finition. Une fois les rénovations terminées, il a aussitôt déménagé avec sa famille à Wickenburg, en Arizona. Son plan initial était d’y acheter une maison, mais il s’est vite rendu compte qu’il était plus facile et moins cher d’en construire une. La famille a alors vécu un certain temps dans un ancien autobus scolaire, jusqu’à ce que la nouvelle maison soit mise hors d’eau. C’est par expérience que j’ai découvert que cela signifiait que seuls les murs extérieurs et la toiture étaient rapidement montés pour mettre le bâtiment à l’abri des intempéries. Pour plus d’intimité, nous avions fixé des couvertures aux portes avec des clous. Si je sais aujourd’hui ce qu’est une maison mise hors d’eau, c’est parce que j’en ai déjà habité une!
Mon mari passait tout son temps sur la maison après ses heures de travail. Trois ans plus tard, il avait un manoir. C’était magnifique : de la moquette, des ventilateurs suspendus, une grande terrasse et une véranda décorée de fer forgé. Il avait effectué les travaux lui-même.
Plus tard, nous avons décidé de déménager dans un ranch à Taylor, toujours en Arizona. Ce n’est pas que nous n’aimions pas la maison de Wickenburg. Nous avons ressenti le besoin de nous rapprocher de nos parents qui vivaient à Taylor. Nous avons alors fait nos bagages et nous sommes installés dans notre ranch. Les enfants vivaient dans une tente et une remorque à chevaux. Mon mari et moi dormions dans une caravane portée sur la camionnette. C’était merveilleux de vivre dans la nature! On pouvait voir les étoiles et le silence était si apaisant. On pouvait marcher des kilomètres sans apercevoir de traces de civilisation. J’ai adoré ça… jusqu’à ce que l’hiver arrive! Nous avons alors appris à chauffer des pierres pour les mettre au pied du lit afin de garder nos pieds au chaud. Nous avons aussi appris l’importance d’utiliser avec modération l’eau courante et l’électricité.
Au printemps, nous avons emménagé dans le sous-sol de rêve de notre nouvelle maison. Quand je dis « sous-sol de rêve », je fais référence aux murs de briques et au plancher en béton qui allaient bientôt se transformer en sous-sol digne de ce nom. Comme nous étions en avril, nous nous attendions à ce que le temps chaud arrive bientôt. Mon mari a empilé des briques sur lesquelles il a ensuite hissé des feuilles de tôle pour faire un toit. Et c’est dans cette chambre de fortune que nous avons installé notre lit avec la commode et que nous avons suspendu nos vêtements.
Cette année-là, à cause du phénomène El Niño, nous avons connu le mois d’avril le plus pluvieux depuis longtemps. En nous réveillant, c’est dans l’eau glacée qui s’était accumulée sous notre lit que nous avons mis les orteils. Nous avons pataugé dans l’eau pour attraper le balai avec lequel nous avons tant bien que mal repoussé l’inondation. Parfois, notre toit de fortune fuyait, transformant notre lit en lit d’eau, comme l’appelait mon mari.
Nous sommes parvenus à faire sécher la maison pendant l’automne. J’étais ravie d’avoir des murs extérieurs, même si les murs intérieurs étaient des murs fantômes, c.-à-d. des murs constitués de poteaux alignés là où le mur devrait être, mais qu’il est possible de traverser.
Parfois, je m’impatientais et je disais : « Chéri, pourquoi n’embauches-tu pas quelqu’un pour poser le reste des panneaux de gypse? Pourquoi ne laisses-tu pas quelqu’un d’autre faire le stucco de la maison? » Sa réponse était toujours la même : « Je ne sais pas ce que je fais tant que je ne l’ai pas fait. Alors, comment est-ce que je peux dire à quelqu’un d’autre ce qu’il doit faire? » J’ai fini par comprendre qu’il voulait dire : « C’est ma création. Laisse-moi la terminer moi-même. Je dois pouvoir dire : “C’est moi qui ai fait ça!” »
Je me demandais quel pouvait être l’impact de ce style de vie sur les enfants : ils en souffriraient sûrement… Mais, le temps a fait son œuvre. Une fois, notre fille est rentrée de l’université pour la fin de semaine. Elle était aux anges au volant de sa vieille Pontiac 1978 noire. Elle nous a partagé que son ami lui avait dit : « Quand j’ai vu la voiture, j’ai su que c’était la tienne. C’est tellement ton genre de voiture! » Elle lui a parlé de la vieille familiale blanche qu’elle conduisait durant ses études. C’était un classique. Un fil en boucle servait pour l’allumage; il fallait tirer sur le fil et appuyer sur l’accélérateur pour démarrer la voiture. Elle lui a également raconté dans quelles circonstances elle a vécu dans une chambre sans fenêtre ni porte et où le bruit d’un marteau résonnait jusqu’à tard dans la nuit.
Je pouvais voir qu’elle n’était pas du tout affectée par cela, pas plus d’ailleurs que les 10 autres enfants. Ils ont tous appris comme moi que le seuil de la pauvreté est un endroit créatif et que la crainte d’entendre la misère frapper à la porte ne fait que vous rendre plus pressé de résoudre vos problèmes par vous-même. Lorsque Dieu a créé le monde, Il l’a fait « bon ». La création était un énorme projet de bricolage. Les humains ont ce besoin fondamental de créer, tout comme ils ont aussi le besoin de clamer au monde qu’ils le font.
Ce n’était jamais facile de vivre dans l’univers créatif de mon mari. J’y ai appris à apprécier les petites choses. Je ne considère jamais l’eau courante comme acquise. J’ignore les parties inachevées de la maison et j’apprécie la nouveauté du dernier projet terminé. Nous avons passé du temps à rêver de ceci et de cela. Parfois, rêver d’un projet est plus amusant que de le voir une fois réalisé. Dans vos rêves, n’importe quel projet peut prendre la forme que vous souhaitez. Être pragmatique et se soucier des contraintes financières n’est dans ce contexte pas du tout nécessaire. Je sais qu’encore une bonne dizaine d’années s’écoulera avant que nous vivions dans une maison finie. D’ici là, je sais qu’il y aura des moments de joie ainsi que des projets familiaux pour lesquels l’attente en vaudra la peine. Quand tout sera terminé, nous pourrons dire : « C’est notre création et nous l’avons entièrement réalisée nous-mêmes! »
Yevet Crandell Tenney est une éditorialiste chrétienne qui aime les valeurs et les traditions américaines. Elle écrit sur la foi, la famille et la liberté.