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Durant son enfance, la seule façon pour elle de passer du temps avec son papa était d’être dans l’étable. La seule façon pour elle d’attirer son attention était de travailler dur à la ferme et de se rendre utile.
Elle rêvait de faire partie de l’équipe de basketball, mais elle a sacrifié son adolescence en se disant qu’aider à la ferme était la chose à faire pendant une crise au moment où les prix du lait étaient à leur plus bas et que la ferme ne pouvait se permettre de main-d’œuvre supplémentaire. La vérité, c’est qu’elle l’a fait dans l’espoir d’avoir du temps de qualité en aidant son père.
Elle était l’un des cinq enfants de la famille et la ferme était petite. La ferme ne pouvait héberger qu’un seul ménage supplémentaire et ce n’était pas le sien. Si elle avait été un garçon, cela aurait été différent. Mais, comme ce n’était pas le cas – et même si ce n’était pas juste – ce sont ses frères qui ont eu l’opportunité d’assurer la relève à la ferme, pas elle. Cette situation était extrêmement frustrante car même si elle ne s’y connaissait pas autant en mécanique que ses trois jeunes frères, elle était ô combien plus efficace que son frère aîné comme gestionnaire de troupeau et aurait manifestement pu devenir une éleveuse remarquable.
Où est-ce que je m’en vais en vous disant ça? Ce n’est probablement pas ce que vous pensez.
Non, cet article ne traite pas des problèmes de sexisme dans la planification successorale. Il aborde plutôt la blessure involontaire qu’un enfant subit lorsque la ferme est le « bébé » de ses parents et que ce n’est pas lui à qui il est confié d’en prendre la relève. Si vous ne travaillez pas à la ferme familiale, avez-vous déjà eu le sentiment de ne pas être à la hauteur pour cette raison?
Il s’agit d’un énorme problème trop peu exprimé qui touche de nombreux enfants des deux sexes – et pas seulement ceux d’agriculteurs.
Certaines des situations suivantes vous sont-elles familières?
- Brian était extrêmement contrarié du fait que son père ne prenait pas le temps de le déposer à l’université ou même de lui rendre visite parce qu’il était trop occupé à la ferme. Il avait obtenu son baccalauréat et l’avait caché à ses parents parce qu’il voulait voir l’expression de fierté qu’ils auraient sur leurs visages en apprenant la nouvelle. Il avait travaillé d’arrache-pied pour vivre ce moment. Il pouvait à peine garder son sang-froid pour terminer son discours quand il s’est rendu compte que ses parents n’avaient pas pu assister à la cérémonie : la ferme avait une autre urgence que ses frères n’étaient pas en mesure de gérer seuls.
- Kelly était vraiment bonne dans son métier. Elle était une étoile montante dans une grande entreprise de publicité ayant plusieurs clients parmi les entreprises du Fortune 500 et venait de se voir décerner des prix pour son travail dans un projet publicitaire de Coca-Cola. Pourtant, son père ne pouvait expliquer à personne ce qu’elle faisait dans la vie. Il disait toujours qu’elle faisait carrière dans l’informatique, même si les seuls logiciels qu’elle savait utiliser étaient Facebook et Twitter.
- Le frère de Danny avait repris la ferme familiale et sa mère, qui l’adorait, faisant tout pour lui, de la préparation de ses repas au nettoyage de sa maison en passant par sa lessive. Toutefois, il y a deux ans, Danny a acheté une maison en banlieue avec sa fiancé et ses parents n’ont pas une seule fois fait l’effort de passer prendre un repas chez eux. Ils ne vivaient qu’à une heure de route mais affirmaient qu’ils étaient trop occupés à la ferme pour avoir le temps de leur rendre visiter.
- Molly vit avec ses trois filles en banlieue, à une demi-heure de route de chez ses parents. Son père confond toujours les prénoms de ses filles alors qu’il exprime ouvertement fierté et joie à l’égard du petit garçon de son frère, parce que ce dernier a une ferme et que c’est son fils à lui qui la reprendra un jour.
- Emily a fondé une entreprise d’ingénierie prospère et, en l’espace d’une décennie, elle l’a fait croître au point de se retrouver avec 12 employés sous ses ordres. Son jeune frère, lui, a repris la ferme de 40 millions de dollars de son père. Il y a quelques années, l’entreprise d’Emily a rencontré une crise de liquidités après avoir contracté 2,5 millions de dollars de travail facturable à être payés dans six mois. Emily avait donc besoin d’un prêt d’exploitation à court terme de 250 000 $ pour couvrir la paie de ses employés et soutenir les opérations dans le but que son équipe puisse respecter le contrat. Elle est alors allée voir son père, mais celui-ci n’a même pas envisager un instant de financer cet investissement avant de lui dire un non catégorique. Peu de temps après, elle a su qu’il était allé acheter un tracteur de 300 000 $ pour son frère afin d’éviter de payer des impôts à la fin de l’année. En conséquence de cette crise de liquidités, Emily a finalement dû liquider son entreprise au bénéfice d’un concurrent et c’est ce dernier qui, l’année suivante, a empoché les deux millions de dollars payés une fois le contrat rempli – contrat qu’elle avait elle-même négocié.
Il y a des agriculteurs qui font l’effort de connaître chacun de leurs enfants pour qui ils sont. Ils font l’effort d’appeler souvent leurs enfants et de s’intéresser à ce qui les intéresse. Ils ne s’attendent pas seulement à ce que leurs enfants se présentent à la ferme pour Noël, mais font l’effort d’aller les voir chez eux, quitte à acheter un billet d’avion. Ils téléphonent souvent et essaient de connaître le nom des amis de leurs enfants. Même s’il s’agit d’un mode de vie différent que leurs enfants ont choisi de vivre – et avec lequel ils peuvent même être en désaccord – ils font l’effort de bâtir une relation. Ils apprennent à apprécier leurs enfants pour ce qu’ils sont devenus, pas pour ce qu’ils ne sont pas.
À l’inverse, il y a des parents agriculteurs qui contrastent fortement avec cela. Ils voient le monde de leur point de vue et, lorsque quelque chose ne cadre pas avec celui-ci, c’est d’aucun intérêt pour eux. Ils ont tellement de mal à traverser la tourmente de garder tout en place à la ferme qu’ils n’ont pas vraiment de temps à investir dans leur relation avec leurs enfants qui ne sont pas agriculteurs.
Cet article ne vise pas à juger les parents qui sont d’une manière ou de l’autre. Dans le chaos et les exigences d’une entreprise familiale, il est très facile de tomber dans ce piège. Si ce que vous lisez vous fait réfléchir, alors c’est déjà une victoire! Cet article est écrit pour les enfants qui sont victimes d’être une priorité secondaire pour la ferme familiale et qui sont le second violon du successeur de la celle-ci.
Au cours des 15 dernières années, en tant que médiateur des différends familiaux relatifs à la ferme les plus amers, j’ai vu de nombreux fils et filles qui se sentaient en infériorité par rapport au successeur qui reprend la ferme. J’ai vu la jalousie et le ressentiment se développer entre des frères et sœurs qui étaient pourtant à un certain moment les meilleurs amis du monde, tout cela parce que, au fil des ans, les parents ont accordé plus d’attention à la vie de leur successeur plutôt qu’à l’enfant tout aussi talentueux qui, lui, a choisi de vivre sa vie ailleurs qu’à la ferme.
J’ai vu des gens ayant un talent absolument incroyable souffrir de dépression et avoir une faible estime d’eux-mêmes parce que leurs parents ne prennent pas le temps de reconnaître leurs talents en dehors de la ferme. Beaucoup d’enfants de la ferme se sentent ainsi mal aimés parce que c’est la ferme qui prime sur les relations familiales.
Les gens disent souvent que les fermes familiales sont déchirées par la cupidité lors des conflits pour la succession. Parfois, c’est vrai, mais souvent, des frères et sœurs dans la quarantaine et qui ne sont pas agriculteurs se disputent le domaine pour d’autres raisons. J’ai vu de nombreuses situations où ces frères et sœurs n’appréciaient pas l’attention particulière que leurs frères et sœurs agriculteurs avaient reçue et pensaient qu’obtenir une part égale de la succession était un moyen de se prouver que leur père les aimait tout autant.
Dans la suite de mon cinquième exemple, j’ai vu Emily l’ingénieure poursuivre son frère en justice lorsque leur père est décédé subitement avec un testament qui manquait de clarté. Ce n’était pas parce qu’elle avait besoin d’argent mais parce qu’elle en voulait à la ferme. Son frère n’a pas soutenu son entreprise à elle, alors pourquoi devrait-elle soutenir la sienne? Parfois, cette lutte pour une part supplémentaire de 1 % ne revêt aucune motivation pécuniaire; elle est plutôt motivée par un besoin émotionnel plus profond de combler un vide de négligence ressenti par l’enfant héritier au cours des 20 dernières années.
De nombreux frères et sœurs en viennent à en vouloir à la ferme et à leurs frères et sœurs agriculteurs de les avoir privés du temps et de l’attention de leurs parents dont ils avaient besoin. Certaines querelles de succession consistent à essayer d’obtenir une compensation pour se prouver que leurs parents les aimaient également eux aussi. D’autres sont une vengeance contre la ferme, une tentative de ruiner l’entreprise qui a ruiné leurs relations parentales.
Il y a la façon dont les choses devraient être et la façon dont les choses sont. Vous pouvez passer votre vie à vous convaincre que votre situation est injuste. Vous pouvez tenter de changer vos parents, mais demandez-vous si c’est réaliste? Les cabinets des thérapeutes sont remplis d’adultes qui se plaignent de la façon dont leurs parents faisaient preuve d’injustice.
La vérité, c’est que la vie n’est pas juste!
Le rêve de la ferme familiale est souvent idéalisé au cinéma, mais la sombre vérité est la suivante : parfois, l’enfance à la ferme n’est pas la vie idéale pour certains et la réalité peut souvent devenir encore plus sombre à l’âge adulte. Comme un alcoolique, vous devez apprendre à accepter les bourreaux de travail égocentriques pour ce qu’ils sont. Peu importe que vous alliez jusqu’à leur crier dessus, s’ils sont égocentriques, ils n’essaieront pas de comprendre les choses de votre point de vue, seulement du leur. Alors, pourquoi gaspiller votre énergie pour mener une bataille perdue d’avance?
À l’intention des enfants ayant grandi dans une ferme mais qui n’y vivent plus ni n’y gagnent leur vie une fois devenus des adultes, j’ai ces trois recommandations :
- Réalisez que votre éducation à la ferme vous a transmis une incomparable éthique de travail et d’extraordinaires compétences qui vous suivent partout où vous allez. De nombreux enfants de la ferme gardent un mauvais souvenir des longues heures qu’ils y ont investies pendant que leurs amis jouaient au football ou allaient au camp musical. Mais, même si vous choisissez une carrière dans la publicité, les compétences que vous avez acquises à la ferme vous ont donné un grand avantage concurrentiel : une éthique de travail implacable, d’excellentes compétences en résolution de problèmes et une grande confiance en vous-même que même un diplôme de Harvard ne pourrait pas acheter. Vous pourriez choisir de regretter le passé, mais à quoi cela vous servirait-il? Vous ne pouvez pas le changer. Concentrez-vous sur les avantages positifs de votre éducation et célébrez vos bons souvenirs. Votre expérience d’enfant de la ferme, faites-en une partie intégrante de votre identité et, peu importe ce que la vie vous réserve, réalisez que vous pouvez faire face à toute éventualité parce que c’est ce que vous avez appris durant votre enfance à la ferme.
- Souvent, lorsqu’un enfant de la ferme choisit de poursuivre une carrière à l’extérieur de la ferme, il déçoit ses parents d’une certaine manière. En outre, une culpabilité et une honte subtiles s’installent lorsque les parents encouragent – directement ou indirectement – l’enfant à revenir travailler à la ferme. Dans la plupart des situations d’endettement agricole que j’ai résolues, il est question d’un propriétaire de ferme qui vit le rêve de ses parents et non le sien. Au bout de 20 ans, ce manque de passion se traduit par une spirale de mauvaises décisions de sa part prises simplement parce que le cœur n’y était pas. Il n’y a rien de pire que de devoir déménager les meubles que vous ont laissés vos parents de la ferme vers un HLM parce que vous avez perdu ce qui était autrefois une ferme prospère en raison de votre manque de passion. J’en ai été témoin. Ne vous sentez donc pas coupable de ne pas vivre les rêves de vos parents, car ceux-ci peuvent aisément se transformer en cauchemars. Vivez vos propres rêves!
- Ne vivez pas pour l’approbation de vos parents car cela pourrait ne jamais arriver. Ne vous préparez pas à l’échec. Ce qui est important, c’est que vous vous connaissiez vous-même. Ce n’est pas pour rien que la phrase « Connais-toi toi-même » est inscrite sur les ruines antiques du monde entier. Ne vivez pas votre vie en faisant toutes sortes de contorsions dans l’espoir d’obtenir l’approbation de vos parents; façonnez-vous une vie de qualité, une vie qui vous convient à vous! Assurez-vous simplement que vos objectifs sont positifs et sains – et non purement hédonistes. Définissez à quoi ressemble le paradis sur terre pour vous, pas pour vos parents. Définissez vous-même quelle est votre mission et votre vision dans la vie. Fixez-vous des objectifs réalistes mais audacieux, puis faites des sacrifices et éliminez les distractions afin de les atteindre. Des paroles condescendantes de vos parents pourraient être l’une de ces distractions; ne laissez pas cela vous faire dévier de la voie. Fixez-vous des objectifs et des règles personnelles; aussi, utilisez un tableau de bord (un cadre de référence externe) à partir duquel vous pourrez mesurer votre succès, tant au quotidien qu’annuellement. Faites les ajustements nécessaires et gardez le cap!
C’est une réalité dont on parle peu, mais il y a beaucoup d’enfants d’agriculteurs qui sont misérables; il s’agit d’un problème plus important que ce dont on discute ouvertement dans la communauté. Vivre malheureux à la ferme augmente la probabilité d’anxiété et de dépression. Vous ne pouvez pas contrôler ce que pensent vos parents, mais vous pouvez contrôler ce que vous pensez. Une fois que vous réalisez cela, votre vie change pour le mieux.
Et pour les frères et sœurs qui demeurent à la ferme avec leurs parents, vous ne l’avez pas aussi facile que vos frères et sœurs ne se l’imaginent, n’est-ce pas? Ne vous disputez pas à ce sujet. Essayez de sympathiser avec vos frères et sœurs et, au lieu de les mépriser – comme le font involontairement de nombreux agriculteurs – édifiez-les.
Célébrez le succès de vos frères et sœurs dans leur carrière et leur mode de vie. Bien sûr, la vie qu’ils ont choisie n’est peut-être pas celle que vous choisiriez, mais essayez de comprendre pourquoi ils l’ont choisie et confortez-les dans leur choix. Faites en sorte que vos frères et sœurs pensent à eux-mêmes sous un jour positif. Encouragez vos parents à être encourageants.
Par exemple, s’il est important pour votre sœur qui vit en ville que votre père soit présent à l’anniversaire de son petit-fils, même si la fête a lieu en pleine saison des semences et que votre père se fait tirer l’oreille pour y aller, forcez-le à monter dans son camion et à s’y rendre! En toutes circonstances, assurez-vous que le doute et le ressentiment ne soient pas semés dans la tête de vos frères et sœurs, sans quoi vos rêves pourraient ne pas se réaliser dans le futur en raison d’un règlement de succession transformé en gâchis. Ne vous contentez pas de le dire, agissez concrètement pour rendre vos relations familiales prioritaires. Bref, faites toujours passer la famille en premier!
Si vous avez un ami qui ne vit pas sur une ferme mais est aux prises avec ce problème, n’hésitez pas à lui partager cet article, en souhaitant que sa lecture puisse faire une différence dans sa vie.
Le créneau d’Andy « Caygeon » Junkin est d’aider les agriculteurs entêtés à mieux travailler ensemble. Vous pouvez télécharger son livre audio (en anglais) intitulé – Bulletproof Your Farm – ou suivre gratuitement sa classe de maître – Farming with your Stubborn Family – en vous rendant sur le site Web de Stubborn Farm (également en anglais).