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Dennis ryan
Columnist
Ryan Dennis is the author of The Beasts They Turned Away, a novel set on a dairy farm. Visit his ...

Mon père avait demandé de l’aide pour nettoyer le garage de mon grand-père. Mon grand-père et lui avaient des fermes séparées mais partageaient la terre et l’équipement. Mon grand-père venait de prendre sa retraite et nous étions là pour trier ce qui restait.

Nous travaillions essentiellement en silence, déposant les outils dans des seaux de cinq gallons et transportant les vieux compresseurs et les ventilateurs de l’étable. Mon père examinait un arbre de prise de force ou un coutre de charrue, le faisant tourner dans ses mains avant de le jeter à l’arrière de la remorque pour l’emmener au parc à ferraille. Il avait travaillé avec mon grand-père toute sa vie, donc je savais qu’il voyait une fonction qui m’était inconnue dans chacun de ces objets poussiéreux. Avant la fin de la journée, il avait noté que nettoyer ce garage avait été difficile, chose qu’il disait rarement.

À un moment donné, nous avions dû soulever ensemble une vieille porte de tracteur. « Tu ne te souviens probablement pas du John Deere auquel cette porte appartenait, n’est-ce pas? » avait-il dit. Il avait ensuite raconté ce jour parmi d’autres où il avait hersé un champ alors qu’il était jeune adolescent pendant que mon grand-père s’affairait à le semer. Cette fois-là, après quelques heures, mon grand-père avait immobilisé son tracteur et en était descendu pour se soulager la vessie tout près du pneu avant. Mon père avait également tiré sur le frein à main et, cherchant à le surprendre, avait eu l’idée de lancer une petite pierre plate en direction des pieds de son père. Déviant dans l’air, la pierre avait plutôt frappé mon grand-père à l’arrière de la tête et l’avait fait tomber à genoux. À ce qu’on raconte, mon grand-père avait repris ses sens puis avait remonté son pantalon, en faisant aussitôt cette remarque : « Je crois que j’en ai sur les mains. »

Cette anecdote, je l’ai entendue plus d’une fois, mais j’ai quand même toujours aimé voir mon père la raconter. Bien qu’il ne me l’ait jamais dit, je crois que voir mon grand-père prendre cette mésaventure avec humour a donné à mon père le sentiment d’être un adulte.

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C’était dans la nature de mon père de raconter des histoires. Avant, je pensais que ce n’était pour lui qu’une façon de se divertir, mais j’ai fini par comprendre qu’elles étaient en fait sa récompense. De nombreux agriculteurs de sa génération qui ont fait longtemps ce métier ont vu la paye de lait ne pas couvrir les coûts d’alimentation et de carburant et ont été témoins du vieillissement inexorable de leur équipement. Cela dit, comme tout le monde, ils ont dû donner un sens à ce qu’ils faisaient et aux raisons qui les poussaient à le faire. Un récit est un moyen de s’approprier ce à quoi il est difficile de s’accrocher. Lorsque vous racontez une histoire, vous permettez au sujet de cette histoire de survivre dans le temps. Finalement, j’ai commencé à comprendre – que je devienne ou non agriculteur moi-même – que c’était mon rôle d’écouter ce que des gens comme mon père avaient à dire.

La croyance en la valeur des histoires que mon père m’a transmise sans le savoir est probablement la raison pour laquelle je suis devenu écrivain. En tant qu’enfant ayant grandi dans les années 90, j’ai vu tant de familles comme la mienne en arracher pour assurer l’exploitation d’une ferme, mais personne n’écrivait sur ce sujet. Il existe étonnamment peu de romans se déroulant dans des fermes laitières en Amérique du Nord, surtout vers la fin du XXe siècle. Mon deuxième livre est un recueil des expériences que notre famille a vécues à la ferme, ainsi qu’une réflexion sur les politiques agricoles qui ont créé ces conditions. Cependant, après la mort de mon père à l’hiver 2021, les progrès ont été lents. Après cinq années et au-delà de 1 200 heures de travail consacrées au projet, celui-ci n’est toujours pas tout à fait prêt à être présenté aux éditeurs.

En attendant, j’ai essayé de rendre hommage à l’importance des histoires en aidant les autres à partager leurs expériences. Il y a plusieurs années, j’ai reçu du financement d’une université pour publier une anthologie de nouvelles, d’essais et de poèmes d’agriculteurs irlandais, dont la plupart écrivaient pour la première fois. J’ai commencé à donner des cours d’écriture créative sur le site Web de The Milk House (en anglais seulement) dont le plus récent est intitulé « Tell your Story » (Racontez votre histoire, en français). Également sur The Milk House s’est récemment conclue la deuxième édition du concours littéraire annuel Best in Rural Writing. L’objectif était de mettre en avant des histoires et des essais qui traitent de la vie rurale, donnant aux gens de la campagne la chance de voir leurs propres expériences se refléter dans ce qu’ils lisent.

Je pense que, parfois, on a tendance à considérer les arts comme ayant moins de valeur que d’autres domaines tels que la science et l’économie, mais en vérité, ils sont tous interconnectés. Raconter des histoires est vraisemblablement ce qui nous rend humains et crée une signification personnelle de diverses manières, mais c’est également crucial dans une perspective plus large. La perte du récit agricole, dans les livres et les histoires, se traduit tôt ou tard par une perte de pouvoir. Le capital social et politique – ou en d’autres termes, la capacité à faire adopter des lois bénéfiques pour les agriculteurs – vient en fin de compte de la capacité à sensibiliser le grand public au destin des agriculteurs. Sans le partage de ces récits, les gens pour qui l’agriculture ne fait pas partie du quotidien se retrouvent encore davantage déconnectés de la réalité des agriculteurs. En outre, ils sont moins conscients de la provenance de leur nourriture, de l’importance de soutenir l’agriculture familiale et des conséquences néfastes plus importantes de la nourriture bon marché. Sans cette compréhension, les agriculteurs perdent un allié.

Des histoires, tout le monde en a! Quelle que soit la perception que vous avez de vos compétences en écriture, envisagez de mettre certaines de vos idées sur papier. Mieux encore, faites-les lire à quelqu’un d’autre! En fin de compte, c’est important. Il y a beaucoup en jeu dans cette démarche pour assurer que votre histoire soit racontée!

Ryan Dennis est l’auteur de The Beasts They Turned Away, un roman qui se déroule dans une ferme laitière. Visitez son site Web ici (en anglais seulement).