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Récemment, ma mère a élaboré une nouvelle théorie sur les raisons pour lesquelles les agriculteurs acceptent de faire un métier à haut risque qui n’offre qu’une faible rétribution financière tout en requérant beaucoup de travail.
Selon elle, il y a un parasite dans leur cerveau!
Enseignante en sciences animales au secondaire, elle parlait à ses élèves de Toxoplasma gondii, le parasite qui cause la toxoplasmose, plus communément appelé la toxo. Les éleveurs – de moutons en particulier – connaissent bien ce parasite, car il est l’une des principales causes d’avortement chez leurs animaux. De même, les femmes enceintes sont fréquemment mises en garde de rester loin des chats pour la même raison, car le parasite est excrété dans leurs excréments.
Apparenté de loin au paludisme, T. gondii ne peut se reproduire que dans l’intestin des félins, qu’ils soient domestiques ou sauvages, et comment il parvient à s’y rendre est incroyablement intelligent.
Le parasite protozoaire peut infecter toutes les espèces à sang chaud et y demeurer pendant des années. La transmission se produit au contact d’excréments de félins, en buvant de l’eau contaminée ou en ingérant de la viande porteuse du parasite. Afin de retourner dans son environnement de prédilection, T. gondii affecte le cerveau de l’hôte et encourage ce dernier à adopter un comportement plus risqué – le rendant conséquemment plus susceptible de se faire manger par un chat.
Les scientifiques ont observé que les souris infectées par la toxo ont moins peur des chats et de l’odeur de leur urine; ils en sont même parfois attirés. De plus, le parasite affecte également le comportement de la faune en général. Les chercheurs se sont toujours demandé ce qui poussait certains loups à quitter la meute ou, à l’inverse, à se battre pour en devenir le chef.
La scientifique Kira Cassidy et le Yellowstone Wolf Project – un projet consacré à la recherche sur les loups et à leur surveillance dans le parc national de Yellowstone aux États-Unis – ont observé que les loups qui partagent leur habitat avec des cougars sont plus susceptibles d’être infectés par la toxo et que ceux qui sont infectés sont 11 fois plus susceptibles de quitter la meute et 46 fois plus susceptibles d’en devenir le chef que les loups non infectés.
D’autres recherches ont déterminé que les chimpanzés infectés par la toxo sont attirés par l’urine des léopards – leur ennemi naturel – et que les bébés hyènes tachetées porteurs du parasite sont plus susceptibles de s’approcher des lions.
La nature a affaire à un parasite à la fois astucieux et largement répandu. On estime que 40 % des animaux à sang chaud dans le monde sont infectés par la toxo.
On ignore encore beaucoup de choses sur le fonctionnement de T. gondii, mais en 2009, des chercheurs britanniques ont découvert que les protozoaires se fixent aux globules blancs – les cellules censées les tuer – et les utilisent pour produire des neurotransmetteurs qui bloquent ou, à tout le moins, réduisent les réactions de peur. En outre, les scientifiques ont détecté un neurotransmetteur associé à la schizophrénie, le GABA, dans le système immunitaire des hôtes infectés – là où il ne devrait pourtant pas se trouver. Il appert que le parasite produit ce neurotransmetteur pour l’aider à « prendre l’ascenseur » jusqu’au cerveau à la manière d’un cheval de Troie, où il peut affecter le comportement de l’hôte.
Ce parasite rusé change-t-il la façon dont les gens se comportent? Eh bien, il s’avère que oui. Le biologiste évolutionniste tchèque Jaroslav Flegr a découvert que T. gondii contrôle également notre cerveau.
En 1990, celui-ci a reçu un diagnostic de toxoplasmose, après quoi il a remarqué qu’il ressentait moins la peur. Il s’est rendu compte, par exemple, qu’il traversait la rue avec plus de désinvolture, ne sursautant même pas quand les automobilistes le klaxonnaient. On savait déjà que le parasite peut être identifié à un moment ou à un autre chez jusqu’à un tiers de la population humaine, bien que la plupart des personnes ayant un système immunitaire sain en soient vraisemblablement inconscientes.
Cependant, des études récentes suggèrent que la toxo est également responsable de l’augmentation des comportements individuels à risque, comme l’a observé Jaroslav Flegr. Ainsi, les personnes infectées par la toxo sont plus susceptibles de mourir dans un accident de voiture en raison d’une conduite dangereuse; toutefois, elles sont aussi, en même temps, plus susceptibles de devenir entrepreneurs et de créer leur propre entreprise, étant moins inhibées par la peur de l’échec. Il serait intéressant qu’une recherche se fasse sur le nombre de dirigeants mondiaux actuellement infectés.
Après avoir lu à ce sujet et quand j’y pense, cela ne cesse de m’étonner à quel point tant de phénomènes peuvent s’expliquer par la toxo. Un ami à Berlin que nous appelons Drama John était connu pour aimer se bagarrer dans les bars, se payer la tête de la police et même, une fois, avoir volé une voiture de taxi avant d’en prendre le volant pour le reste de la nuit. Nous ne savions pas où un tel comportement le mènerait, mais nous savions que cela n’augurait rien de bon. Puis, nous avons été stupéfaits lorsque nous avons appris qu’il avait fait la chose la plus incroyable à ce jour : il s’est acheté deux chatons sphynx pour la modique somme de 1 200 $ chacun. A l’époque, on n’arrivait pas à y croire, mais maintenant, tout cela prend son sens!
De la même manière, beaucoup de gens regardent les producteurs laitiers et se demandent ce qui les pousse à continuer dans ce domaine. L’instabilité et les coûts élevés des intrants sont au nombre des éléments qui font de la production laitière, entre autres, une entreprise précaire qui ne semble pas logique vue de l’extérieur.
Combien de fois avons-nous entendu un producteur laitier dire à un autre qu’il faut être fou pour faire ce métier? Combien de blagues sont faites au sujet de tout l’argent qu’un propriétaire agricole ne gagne pas, ou encore à propos des mille et unes dépenses qu’il doit faire et qui, en conséquence, lui en font perdre à la place? Au pire, on peut dire que la production laitière, comme l’agriculture en général, n’est ni plus ni moins qu’un choix de vie qui défie la raison!
Et, dans toutes ces fermes qui nous entourent, qu’est-ce qu’on trouve? Des chats de ferme. Ça me fait mal de l’admettre, mais peut-être que ma mère a raison!
Ryan Dennis est écrivain et fils d’un ancien producteur laitier de l’ouest de l’État de New York.