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Chaque fois que nous devions réparer une clôture, mon père maudissait les Britanniques. Il emportait sa scie à chaîne à l’arrière de son pick-up en prévision de devoir nous frayer un chemin à travers les rosiers multiflores qui avaient envahi le pourtour du pâturage. Ceux-ci s’accrochaient à nos jeans, nous grafignaient le visage et les bras et contribuaient grandement à la mauvaise humeur de chacun. Mon père nous racontait alors comment les colons anglais avaient introduit des rosiers multiflores dans les colonies pour les utiliser comme clôture naturelle, ce qui s’est avérée une idée complètement stupide! Avec le temps, la plante s’est répandue partout, menaçant tous les pâturages.
Selon Internet, la rose multiflore est dans les faits originaire d’Asie et, en Amérique, elle n’a été utilisée pour garder les troupeaux qu’à partir des années 1930 et 1940. Cela dit, ayant moi-même effectué plusieurs réparations de clôture, je pense que le point de vue de mon père est toujours valable!
Récemment, des efforts ont à nouveau été déployés pour remplacer les clôtures traditionnelles, cette fois par une technologie moderne. L’entreprise norvégienne Nofence, fondée en 2011, prétend être la première entreprise à proposer des clôtures virtuelles aux agriculteurs. À l’aide d’un GPS, un éleveur peut cartographier le terrain à l’intérieur duquel ses animaux peuvent s’aventurer. Lorsque l’animal s’approche de la limite autorisée, son collier émet un son aigu en guise d’avertissement. Si l’animal tente quand même de franchir la ligne invisible, il reçoit alors un choc équivalent à celui d’une clôture électrique. Récemment, plusieurs autres entreprises ont commencé à développer des solutions similaires aux clôtures électroniques en utilisant, au lieu du GPS, un signal provenant d’une « station » centrale dans chaque ferme.
Le concept général de clôture virtuelle avec lequel la plupart des propriétaires d’animaux domestiques sont familiers existe depuis longtemps. C’est en 1973 que Richard Peck a fait breveter la clôture invisible, utilisant un câble qui devait être enterré sous terre. Cependant, afin d’être considérée comme une option viable pour l’élevage, la technologie a dû s’améliorer depuis les prototypes originaux, y compris la fonctionnalité du GPS.
La disponibilité des clôtures virtuelles pourrait notamment changer la donne pour les éleveurs qui font pâturer leurs troupeaux en rotation, en particulier pour ceux qui déplacent souvent leurs animaux et ont recours à des clôtures temporaires. Non seulement le producteur pourrait alors éviter d’avoir à planter des piquets et à tendre une broche, mais ses animaux pourraient également brouter dans des zones où ériger une clôture serait difficile. En optant pour une clôture virtuelle, on n’a plus à lutter contre la rose multiflore ni à se demander comment installer une clôture à travers un ruisseau sans qu’elle soit emportée par le courant. En outre, il est plus facile de garder les animaux hors des zones protégées ou des terrains accidentés sans avoir à les entourer d’un fil de fer. Enfin, en étant capable de mieux gérer les zones où broutent les vaches, il est possible de créer des pâturages plus productifs.
Comme on peut l’imaginer, la clôture virtuelle présente aussi des inconvénients, de même que des difficultés technologiques croissantes qui doivent encore être résolues. Bien qu’il existe des projets pilotes offrant des colliers gratuitement ainsi que des subventions spécifiques pour atténuer les coûts d’un tel système, les clôtures virtuelles sont généralement coûteuses. Les colliers Nofence pour bovins coûtent entre 250 $ et 300 $ dollars américains chacun, ce à quoi s’ajoutent des frais d’abonnement annuel d’environ 50 $ dollars américains par tête que les éleveurs doivent payer.
La « station de base » exigée par les systèmes d’autres entreprises représente elle aussi un investissement important. Étant donné que les colliers Nofence utilisent uniquement le GPS, la localisation peut s’avérer imprécise à certains endroits et la limite de confinement peut comporter une erreur allant jusqu’à 15 pieds. Cette imprécision est particulièrement importante à considérer à proximité des routes et des autres zones dangereuses. De plus, bien qu’ils permettent de garder les animaux à l’intérieur d’un périmètre spécifique, les systèmes de clôtures virtuelles – contrairement à certains types de clôtures physiques – ne peuvent empêcher les prédateurs d’entrer dans la zone. Enfin, comme pour tous les autres types de clôtures, l’efficacité des clôtures électroniques n’est pas complètement sans faille : il y aura toujours des animaux qui parviendront à prendre la clé des champs!
En ce qui concerne l’avenir de la clôture virtuelle, le temps nous dira s’il deviendra finalement avantageux d’en généraliser l’utilisation – tant sur le plan économique que du point de vue pratique. (Peut-être qu’un jour je maudirai les Japonais qui nous auront envahis avec cette alternative ratée en matière de clôture.) Je peux imaginer un tel système être implanté dans un pays comme l’Islande, où, chaque hiver, les moutons et les chevaux pâturent en liberté dans les montagnes et où des puces GPS sont déjà utilisées par les éleveurs sur leurs chevaux depuis près de deux décennies. Peut-être que les bergers nomades du monde entier finiront par utiliser cette technologie, surveillant alors leurs tablettes dans leurs tentes au lieu de suivre leurs troupeaux sur le terrain!
Mais, si le concept de clôture virtuelle prend son essor et finit par se retrouver dans tous les types de fermes, il y a bien une chose qui m’inquiète : comment les familles vont-elles remplacer cet incroyable privilège de nature à forger le caractère qui consiste à planter des piquets de clôture dans un sol rocailleux et à tendre un fil de fer à travers des buissons hérissés d’épines? Peut-être que nous, contrairement à ce que nous souhaitons que fassent nos animaux, nous parviendrons un de ces jours à franchir cette limite!
Ryan Dennis est l’auteur de The Beasts They Turned Away, un roman qui se déroule dans une ferme laitière.