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Dennis ryan
Columnist
Ryan Dennis is the author of The Beasts They Turned Away, a novel set on a dairy farm. Visit his ...

Les habitants des villes européennes ont peut-être vu un tracteur passer dans leur rue récemment.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les agriculteurs de l’Union européenne sont au cœur d’un vaste mouvement de protestation qui transcende les frontières, les langues et les cultures. Ce qui a commencé par une semaine de manifestations en Allemagne contre la suppression d’une subvention aux carburants s’est rapidement étendu à l’ensemble de l’Union européenne, où des dizaines de milliers d’agriculteurs sont descendus dans les rues pour exprimer leurs revendications à l’égard de la politique agricole actuelle.

Le siège de l’UE à Bruxelles, en Belgique, a été bloqué à la suite d’un sommet par de longues rangées de gros tracteurs et entouré de petits incendies alimentés par des pneus, des branches et d’autres débris. En France, des épandeurs à fumier ont recouvert de lisier des bureaux gouvernementaux, des épiceries et d’autres bâtiments, tandis que d’autres établissements ont été aspergés de lait. Au cours de la même semaine[VH1] , les agriculteurs ont bloqué des routes dans toute l’Europe, de la Roumanie à l’Espagne, en signe de solidarité.

Les manifestations ont coïncidé avec le sommet sur la manière dont l’Europe peut atteindre les objectifs liés au climat. L’UE s’est engagée à réduire ses émissions de 90 % (par rapport aux niveaux de 2015) d’ici 2040 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’agriculture, qui représente 10 % des émissions européennes, a été désignée comme un secteur cible à privilégier dans l’atteinte ces objectifs. Un projet de proposition invite les agriculteurs à réduire de moitié leur utilisation de pesticides, à mettre en jachère 4 % de leurs terres arables chaque année et à réduire de 20 % l’épandage d’engrais.

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Néanmoins, les nouvelles réglementations environnementales ne constituent qu’une partie des raisons pour lesquelles les agriculteurs descendent dans la rue. Très peu d’entre eux nient que les changements climatiques sont une menace et que des changements doivent être apportés dans l’ensemble de la société. Cependant, les agriculteurs interrogés déclarent qu’ils sont confrontés depuis longtemps à des pressions financières. L’augmentation du prix du carburant et des autres intrants, associée à la diminution des aides accordées dans le cadre de la politique agricole commune de l’UE (l’équivalent du Farm Bill aux États-Unis), les empêche de gagner leur vie. Ils estiment que, dans ces conditions, la nouvelle réglementation serait un clou dans leur cercueil.

De plus, les agriculteurs protestent contre la décision de l’UE d’importer des denrées alimentaires moins chères. L’UE serait sur le point de conclure un important accord de libre-échange avec les pays d’Amérique du Sud, ce qui entraînerait un afflux de bœuf, de produits laitiers et d’autres denrées alimentaires qui coûteraient moins cher que ce que les agriculteurs de l’UE peuvent produire. Les agriculteurs européens y voient non seulement une menace, mais aussi une hypocrisie, étant donné que l’agriculture sud-américaine contribue toujours à la destruction de la forêt tropicale. Les agriculteurs européens ont déjà ressenti l’impact de l’autorisation accordée par l’UE aux produits agricoles ukrainiens d’entrer sur le marché sans droits de douane en réponse à l’invasion russe, étant donné que l’Ukraine possède de plus grandes exploitations qui peuvent produire des denrées alimentaires à moindre coût.

Selon certaines informations, les responsables politiques sont surpris par l’ampleur des manifestations. Ils ont donc commencé à faire des concessions. Jusqu’à présent, ils ont supprimé l’obligation de réduire de moitié l’utilisation des pesticides, ainsi que la directive visant à mettre de côté 4 % des terres arables chaque année. En outre, dans le rapport à venir sur la manière dont l’Union peut devenir carboneutre, ils ont supprimé les dispositions relatives à la réduction de 30 % du méthane et de l’azote, car ces gaz à effet de serre sont associés à l’agriculture. Ils ont également envisagé d’introduire des droits de douane sur certains produits ukrainiens. Néanmoins, les agriculteurs ne sont pas encore rentrés chez eux. Ils cherchent à en obtenir davantage.

En ce moment, les agriculteurs ont l’attention de Bruxelles. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a entamé des « dialogues stratégiques » avec les organisations agricoles et a déclaré que « nos agriculteurs méritent d’être écoutés ». Face à une telle démonstration de force, les politiciens craignent que les agriculteurs ne les éjectent durant les élections cette année. Certains groupes comptent d’ailleurs sur cette éventualité. Plusieurs syndicats d’extrême droite ont tenté de coopter le mouvement afin d’obtenir davantage de soutien pour leurs partis politiques. Le fait de ne pas vouloir renforcer les sentiments anti-européens a incité les responsables politiques à Bruxelles à trouver des solutions.

Au moment où cette chronique sera imprimée, les lecteurs sauront peut-être – ou du moins pourront regarder – si les manifestations qui ont eu lieu dans toute l’Europe ont été couronnées de succès. Il aurait été logique d’attendre qu’elles soient terminées pour les aborder ici, ce qui aurait permis d’avoir une vue d’ensemble, mais ce qui risque d’être perdu, c’est l’état d’esprit du moment. Il est très particulier de voir les agriculteurs de la plupart des 27 pays exiger, d’une manière ou d’une autre, que leur voix soit entendue. Au-delà des frontières, les manifestants n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est le fait qu’ils pratiquent l’agriculture et qu’ils sont confrontés à des défis similaires. Cela suffit finalement à créer une solidarité entre eux. Les agriculteurs sont écoutés en raison des actions qu’ils ont entreprises. Dans une profession où ils n’ont généralement que peu d’influence politique, ils ont, au moins brièvement, pris un peu de pouvoir.

Lorsque la poussière sera retombée, on pourra juger si les manifestations ont eu un impact. Peut-être qu’une partie de moi, le cynique, craint que les agriculteurs n’obtiennent que de petites concessions et qu’en fin de compte, rien ne change vraiment. J’espère que ce cynique se trompera. Quoi qu’il en soit, avant que cela n’arrive, je pense qu’il vaut la peine de souligner ce qui a déjà été réalisé, à savoir l’unité d’un groupe de personnes luttant pour leur survie. En la reconnaissant maintenant, elle devient quelque chose qui ne peut pas être enlevé après coup. Même à distance, c’est un moment impressionnant à vivre. 

Ryan Dennis est l’auteur de The Beasts They Turned Away, un roman qui se déroule dans une ferme laitière. Visitez son site Web ici (en anglais seulement).