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Quand j’étais enfant – à la ferme laitière où je vivais – une phrase en particulier déclenchait en moi une peur viscérale. Cette phrase, lorsqu’elle était criée par la porte, provoquait une cacophonie de cris d’enfants.
C’était le signal qui sonnait le ralliement immédiat de toutes les forces, peu importe l’activité à laquelle nous vaquions. Ces mots redoutés étaient : « Les vaches sont sorties de l’enclos! »
Au sein de notre petite ferme familiale, une telle situation avait un effet particulièrement fédérateur dans la mesure où l’un de nous cinq – les jeunes enfants de la famille Faber – était fort probablement responsable d’avoir permis aux vaches de prendre la clé des champs. Le suspect d’une telle faute serait incessamment jugé, mais pas avant que la dernière vache rebelle n’ait été ramenée au bercail.
Notre père était un bon chrétien, de qui on n’entendait que très rarement prononcer un gros mot. Je l’ai déjà vu se donner un coup de marteau directement sur le pouce et ne s’éloigner qu’en grimaçant de douleur tandis que l’auteur de ces lignes se plaignait de ses ampoules causées par des coups de marteau maladroits à répétition. Cela dit, la vue de ses vaches laitières courant en liberté sur la route savait mettre à l’épreuve la capacité du plus saint et droit des hommes à garder le contrôle de son langage. Ce n’était alors pas le moment de philosopher que la langue bien parlée est le gouvernail qui permet de diriger à bon port le navire de la vie. Maintenant, je le sais!
Voyez-vous, une partie de la frustration de mon père était causée par l’anticipation de l’indignation de ma mère. Toute aussi pieuse que mon père, celle-ci avait une passion pour les fleurs et son jardin, un jardin alors piétiné par du bétail en liberté qui n’aurait pas dû l’être.
Invariablement, je sortais de la maison plus ou moins habillé pour contempler un terrain qui ne pouvait être décrit que comme le théâtre des Jeux olympiques bovins. Il y avait des vaches qui couraient à fond dans un sprint de 100 mètres, d’autres moins rapides qui testaient leur endurance en faisant le 400 mètres; enfin, les dernières se préparaient sérieusement pour le marathon afin de retourner à la ferme d’où elles étaient originaires à plusieurs kilomètres de la maison.
Dans une démonstration particulièrement impressionnante d’ingéniosité bovine, certaines vaches escaladaient les collines du champ pour ensuite se projeter en bas dans des sauts en longueur qui donnaient l’impression que les vaches pouvaient voler. Dans ces moments, en regardant au ciel, on n’aurait eu du mal à croire à une hallucination en voyant une vache passer devant la lune!
Notre ode à nos Olympiennes se poursuivait en outre en dehors de la saison estivale. Une fois, pour éviter la terreur canine qu’était Axle, une de nos vaches avait tourné trois fois sur elle-même dans une parfaite figure digne d’un triple Salchow en patinage artistique. Sublime dans son exécution, elle aurait mérité des notes de 7,5 de tous les juges, en plus d’un 9,5 de la juge russe! Ce qui s’ensuivait invariablement était un front unifié de communication, de camaraderie et d’effort physique soutenu qui aurait suscité l’admiration de la plus intrépide des équipes de forces spéciales de la marine américaine.
Nous étions en partie motivés par la peur et en partie par l’excitation de pouvoir identifier le responsable de la brèche en faisant porter le blâme à l’un de nos jeunes frères pour avoir négligé de bien fermer et verrouiller une des barrières. Une fois la dernière vache finalement ramenée en sécurité dans l’étable, nous nous regroupions tous debout dans la cour. C’était un spectacle à voir : cinq enfants couverts de coupures et d’ecchymoses, barbouillés de la bouse projetée en coup de canon par une vache qui toussait au terme de sa cavale. Aux abords de l’étable, c’était la pagaille la plus complète. Il y avait des cailloux de la cour dans la pelouse et des morceaux de pelouse dans la cour. Dans son ensemble, le sol avait été intensément bombardé de bouses de vache. Mais le pire, c’était du côté du parterre de fleurs de ma mère où, de ses dahlias et de ses tulipes, il ne restait sans surprise que des tiges dénudées sortant du sol.
Comme c’était généralement moi le responsable de ne pas avoir fermé la clôture, je me plais aujourd’hui à considérer que ces moments fébriles étaient de fantastiques occasions de renforcer nos liens d’équipe. En conclusion, gardez les verrous sur les portes, placez les dahlias en hauteur et rappelez-vous que les moments difficiles seront un jour vos meilleurs souvenirs!