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Qui aurait cru que les pets de vaches seraient un jour au cœur de la controverse et des critiques visant l'industrie du bétail? Outre le fait que cette affirmation concernant la source des émissions de méthane entérique produit par le bétail est erronée (99 % du méthane entérique produit par les vaches est émis par leur bouche et leurs narines), elle tend à simplifier considérablement un problème complexe.
Oui, le bétail est un contributeur important aux émissions mondiales. Le méthane produit par la fermentation entérique représente 44 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur de l'élevage du bétail, et le secteur lui-même émet 14,5 % des émissions de GES d'origine humaine. De plus, le méthane possède un potentiel de réchauffement plus élevé que le dioxyde de carbone. Toutefois, comme Chaouki Benchaar l'a expliqué pendant sa conférence « Stratégies nutritionnelles pour atténuer les émissions de méthane entérique produit par les vaches laitières » lors du Colloque de nutrition animale du Canada (CNAC), plus d'information est nécessaire.
« La durée de vie du méthane dans l'atmosphère est beaucoup plus courte que celle du CO2. Par conséquent, le méthane est une cible intéressante pour obtenir des gains à court terme dans la réduction du réchauffement climatique », a expliqué Benchaar.
Pour atteindre les objectifs de réduction proposés dans le rapport du GIEC publié en 2018 et diminuer les émissions de méthane de 24 % à 27 %, les stratégies d'atténuation sont plus importantes que jamais. La bonne nouvelle est qu'il existe des opportunités pour cibler et réduire les émissions de méthane entérique.
Au Canada, 90 % des émissions de méthane produites par le secteur du bétail sont attribuées à la fermentation entérique. Le 10 % restant provient du fumier. L'industrie laitière est responsable de 15 % de ces émissions.
« L'atténuation des émissions de méthane entérique provenant des bovins laitiers pourrait jouer un rôle important dans la stabilisation et la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur laitier », a précisé Benchaar, chercheur chez Agriculture et Agroalimentaire Canada.
Fonction de la fermentation
La fermentation microbienne des aliments est à l'origine de la production de méthane par le rumen. La fermentation entérique produit des acides gras volatils (AGV), notamment de l'acétate, du propionate et du butyrate, que l'animal utilise comme source d'énergie. La fermentation stimule également la production de dioxyde de carbone et d'hydrogène, utilisés par des microorganismes dits méthanogènes pour produire du méthane.
Les éléments clés de la production de méthane, y compris l'acétate, le butyrate et l'hydrogène mentionnés ci-dessus sont produits lorsque les hydrates de carbone fermentent dans le rumen.
Une alimentation riche en fibres, par exemple une ration contenant beaucoup de fourrages, augmente la disponibilité de l'hydrogène, ce qui favorise la production de méthane. À l'opposé, les rations riches en amidon favorisent la production de propionate pendant la fermentation du rumen, ce qui réduit la formation de méthane.
Un voleur de productivité
Pour produire du méthane, les ruminants utilisent une énergie productive. Cela signifie que la production de méthane entérique détourne une part d'énergie productive à des processus plus avantageux, comme la production de lait. Pour les vaches laitières nourries avec des rations à base de fourrages, l'énergie perdue pour la production de méthane représente entre 4 % et 7 % de l'apport énergétique brut. Ainsi, la nature du méthane en tant que GES puissant, associée aux pertes d'énergie qu'il crée, peut entraîner des avantages environnementaux à long terme et des avantages économiques à court terme si l'on atténue la production de méthane par les vaches laitières.
Outils disponibles
Maintenant que nous avons établi les avantages de réduire les émissions de méthane entérique, jetons un œil aux solutions permettant de les mettre de l’avant.
La diète d'une vache laitière est le principal facteur influençant sa production de méthane. C'est également un facteur sur lequel les exploitations agricoles exercent un contrôle considérable, même si certaines décisions peuvent ne pas s'appliquer selon la région, le coût des intrants et des aliments, l'accès aux ressources et les variations liées aux animaux et aux troupeaux.
Le premier élément à considérer est la consommation de matière sèche (CMS). La CMS est liée au volume de méthane entérique produit par une vache. En moyenne, une vache tarie émet 200 litres de méthane par jour, tandis qu'une vache en lactation produisant 40 kilogrammes de lait par jour émet environ 700 litres de méthane par jour.
Le Tableau 1 présente l'influence de différentes rations pour vaches laitières sur les émissions de méthane par kilogramme de lait produit.
L'utilisation d’additifs, l'échange ou la modification de certaines composantes peuvent entraîner des variations importantes au niveau de la production de méthane.
Éléments à surveiller
Au-delà des modifications apportées aux pratiques conventionnelles de nutrition des vaches laitières, il existe quelques opportunités pour réduire la production de méthane entérique. Celles-ci ont le potentiel d'être utilisées comme futures solutions pour l'industrie.
Les additifs alimentaires présentent des façons intéressantes de réduire les émissions de méthane entérique. Toutefois, de nombreux obstacles freinent leur adoption.
- Inhibiteurs : les additifs, comme le 3-NOP, se sont révélés efficaces pour réduire les émissions de méthane entérique. Ils ont peu d'impact sur la santé des humains et des animaux, mais leur coût est élevé. De plus, aucune corrélation n'a été établie avec des gains de productivité. Le 3-NOP n'est pas approuvé pour une utilisation au Canada et il n'est pas prévu qu'il soit offert dans les prochaines années.
- Algue marine : il a été démontré qu'une variété d'algues rouges appelée asparagopsis a permis de réduire les émissions quotidiennes de méthane de 67 %, lorsqu'ajoutée à la ration dans une proportion de 1 %. Plus de recherches sont nécessaires pour que cette option soit viable pour les producteurs. Cette algue est très coûteuse, peut être dommageable à des concentrations élevées, n'est pas indigène au Canada, peut avoir un effet négatif sur la CMS et la production de lait, et contient du bromoforme, un cancérogène probable.
Actions à mettre en place dès maintenant
Des progrès restent à faire à plusieurs niveaux pour la réduction du méthane entérique. Entre autres, il manque d'incitatifs financiers pour mettre en œuvre certaines des solutions proposées. Toutefois, Benchaar a confirmé que des changements peuvent être apportés dès maintenant pour réduire les émissions de méthane entérique, en particulier dans la formulation des rations.
« Toute manipulation de la ration qui peut accroître la CMS et/ou la production de lait peut entraîner une diminution des émissions de méthane et de leur intensité », a-t-il noté. Pour appuyer son argument, il a cité le potentiel que représente le fait de remplacer le tourteau de soya par du tourteau de canola dans la ration. Les études démontrent que cela pourrait augmenter la CMS et la production de lait tout en réduisant la production de méthane d'au moins 6 % et en augmentant la productivité animale.
De plus, il peut être avantageux de combiner certains des outils disponibles pour maximiser le potentiel de réduction des émissions. « Il a été suggéré que la combinaison de stratégies d'atténuation pourrait permettre d'obtenir des réductions plus importantes [des émissions de méthane entérique]. Toutefois, cela ne sera possible que si les stratégies combinées s'additionnent », a expliqué Benchaar.
En conclusion, bien que le besoin de réduire les émissions de méthane entérique est bien établi, il ne s'agit pas de la seule solution pour diminuer l'empreinte carbone de la production de bétail. À l'échelle mondiale, le lait comble 33 % des besoins en protéine et il s'agit d'une source importante non seulement de calories, mais également d'alimentation pour plusieurs populations. Dans cette optique, des analyses du cycle de vie sont nécessaires pour s'assurer que les réductions de méthane à certains endroits n'entraînent pas des augmentations des émissions de GES ailleurs dans le système agricole.