Dans la vie de tout travailleur, il arrive un temps où l’idée de ralentir le rythme apparaît tranquillement.

Cossette emylie
Psychologue Agricole / Conseillere en Relations Humaines et Transfert D'entreprise / Groupe ProConseil
Berthiaume raphaelle
Conseillère en relations humaines et transfert d'entreprise / Groupe ProConseil

Sur les entreprises agricoles, les questionnements concernant l’ampleur de l’implication peuvent arriver dans différents contextes : arrivée de la relève ou constat d’absence de relève, diminution de l’énergie ou de la capacité de travail, difficultés financières, envie de temps pour soi, enjeux de santé, etc. Quelles que soient les raisons, les producteurs et productrices agricoles rencontrent aussi ce genre de transition importante dans leur vie.

L’étape de ralentir, de se retirer partiellement ou complètement est inévitable et peut représenter un grand défi d’adaptation, surtout lorsque plusieurs années de vie ont été consacrées à l’entreprise. Qu’est-ce qui peut expliquer que ce constat soit si difficile pour certains? Évidemment, une multitude de réponses sont possibles, dont notamment celle du concept d’identité.

Qu’est-ce que l’identité? À sa définition la plus simple, l’identité est définie par le dictionnaire Larousse comme : le caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité. En d’autres mots, l’identité fait référence à comment les individus se définissent. Cette définition de soi se bâtit au fil du temps en fonction du contexte de vie et des expériences de l’individu. Elle est constituée de différents éléments comme nos attributs physiques, nos rôles sociaux, nos intérêts, nos forces et nos défauts.

Concrètement, notre conception de notre identité peut s’observer par la réponse qu’on donnerait à une personne qui nous demanderait de se présenter. Pour plusieurs entrepreneurs agricoles, la première réponse qui vient à l’esprit est : « Je suis producteur agricole » ou « Je suis producteur laitier. » Pour plusieurs, ce rôle social d’être producteur agricole est au centre de la conception de soi, ce qui est normal et légitime considérant la proportion de temps et d’énergie investie dans ce rôle. Mais qu’arrive-t-il à la définition de soi si les activités de la ferme doivent cesser? Dans ce cas, il est possible que l’individu ressente un grand sentiment d’inconfort, puisqu’il aura l’impression de perdre une partie intégrale de sa personne. On l’entend souvent : « Si je ne suis plus producteur agricole, je suis quoi? » Perdre une partie de son identité peut faire vivre plusieurs émotions difficiles : sentiment de vertige, confusion, sentiment d’être perdu, perte de sens à sa vie, peur de s’ennuyer, sentiment d’être inutile, etc.

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Si l’on imagine l’identité d’une personne comme un tout, il est probable que plus la portion de l’identité attribuée au rôle de producteur agricole est grande, plus l’inconfort de sa perte est important. Prenons deux exemples : dans la première image, l’identité repose sur un nombre restreint d’éléments et dans la deuxième sur un grand nombre d’éléments.

En cas de retrait des termes producteur agricole, dans la Figure 1, il reste peu d’éléments afin de définir l’individu.

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Cependant, en regardant la Figure 2, on peut faire le constat que malgré le retrait du « producteur agricole », plusieurs éléments demeurent pour permettre à l’individu de se définir. On peut donc s’imaginer que l’individu ayant une représentation de soi plus diversifiée ressentira moins les impacts négatifs de cette grande transition, puisqu’il conservera tout de même une certaine stabilité dans les éléments clés qui lui permettent de se définir.


Pour faciliter ces grandes transitions de vie, il serait donc important de développer une identité diversifiée qui s’appuie sur une multitude de caractéristiques, plutôt que sur le seul rôle social d’être producteur agricole. Comment savoir si notre conception de soi est bien développée ou est au contraire plutôt limitée? L’identité étant un concept complexe, plusieurs avenues sont possibles. 

Toutefois, un test très simple développé en 1954 par deux chercheurs, Kuhn et McPartland, permet d’avoir un premier portrait très rapidement. Ce test consiste à écrire les mots « Je suis… » à vingt reprises sur une feuille de papier et de tenter de compléter avec des éléments différents. Par exemple : je suis un producteur agricole, je suis un amateur de voiture, je suis patient, etc. 

Ensuite, il suffit de regarder combien de « Je suis… » nous avons été en mesure de compléter et à quel point l’effectuer était difficile. Plus il y a d’éléments inscrits sur la feuille, plus l’individu entretient une identité pouvant être qualifiée de diversifiée.

Pour développer son identité, plusieurs actions peuvent être réalisées. D’abord, il est possible de demander aux gens de son entourage leur perception de nous, de nos qualités et de nos défauts, afin de garnir notre banque d’attributs permettant de nous définir. Il peut aussi être important d’essayer de s’investir un peu plus dans d’autres rôles sociaux que celui d’agriculteur ou d’agricultrice, par exemple dans celui de parent, en faisant une activité en dehors de la ferme avec nos enfants. On peut aussi se demander s’il y a une activité qu’on aimerait essayer et qu’on n’a jamais tentée. 

Il est même possible de diversifier son identité en restant dans le monde agricole, par exemple en s’impliquant sur le conseil d’administration d’une organisation gravitant en agriculture. Finalement, aller consulter en psychothérapie peut également être un bel outil pour apprendre à mieux se connaître ou à se découvrir différemment.

Malgré une identité bien développée, le défi d’adaptation et la charge émotive qui viennent de pair avec l’étape du retrait de la ferme restent bien réels et peuvent tout de même faire vivre certaines émotions difficiles. Il est donc important de bien se préparer et d’être bien accompagné, autant sur les aspects plus techniques (financiers, fiscaux, légaux) que sur les aspects humains et émotifs. Planifier et se laisser du temps pour cheminer aide à une transition plus douce, harmonieuse et satisfaisante autant pour soi et que pour son entourage.

Raphaëlle Berthiaume, D. Ps., conseillère en relations humaines et transfert d’entreprise et Émylie Cossette, D. Ps., conseillère en relations humaines et transfert d’entreprise chez Groupe ProConseil.